lundi 2 avril 2012

Nantes, Esclavage


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Société

La Bonne-Mère, ou l’histoire d’un "banal" navire négrier

  • Clicanoo.re
  • publié le 1er avril 2012
  • 08h41
JIR
La Bonne-Mère, ou l'histoire d'un
En épluchant les livres de bord et la correspondance d’un bateau négrier nantais, "La Bonne-Mère", l’historien Eric Saugera a redonné vie à l’"horrible banalité" des opérations financières spéculatives qu’étaient ces expéditions qui déportèrent 11 millions d’Africains.

A l’occasion de l’inauguration du Mémorial de l’abolition de l’esclavage de Nantes dimanche dernier, l’association "Les anneaux de la mémoire" a publié le fruit de ses recherches dans un ouvrage intitulé "La Bonne-Mère, navire négrier nantais - 1802-1815". Pour la première expédition, en 1802, l’armateur nantais Mathurin Trottier a d’abord du convaincre suffisamment d’investisseurs pour réunir une somme représentant le prix d’un hôtel particulier de l’époque : ils seront dix-sept. Il faut financer le navire mais aussi les quantités importantes de fusils, poudre, métaux, textiles imprimés, eaux-de-vie ou objets manufacturés issus des industries européennes qui permettront d’acheter les esclaves en Afrique. Puis l’armateur choisit sa destination africaine en fonction des ethnies des esclaves proposés dans les différents ports et de leurs prix. Ainsi Eric Saugera cite cette appréciation à propos d’un port africain : "Les esclaves qu’on y trouve sont beaux, bons, forts, laborieux et beaucoup plus paisibles qu’en tout autre lieux de la coste de Guinée".
Parti le 25 août 1802 de Paimboeuf, la "Bonne-Mère" arrive le 23 octobre 1802 dans la rade de Bonny (actuel Nigeria). Le roi héréditaire s’y appelle alors Opubo Fubara Pepple. C’est à lui que vont d’abord être achetés des esclaves, puis à ses dignitaires, la noblesse locale. Le 14 décembre 1802, La "Bonne-Mère" lève l’ancre avec 303 captifs à bord. Pendant l’attente, trois sont morts. Commence alors une pénible traversée où, même si les négriers ont intérêt à prendre soin de leur "marchandise", les captifs vont souffrir du mal de mer, de la claustration allongée, mais aussi de maladies comme "dysenteries, diarrhées, fièvres..."
Le 28 janvier 1803 la "Bonne-Mère" arrive à Saint-Pierre de la Martinique. Deux esclaves sont morts. Une mortalité exceptionnellement faible par rapport au taux de 13% des expéditions du XVIIIè. "Fin février 1803, (...) plus de 85% de la cargaison ont été écoulés" auprès des colons planteurs, dit le livre de bord. Mais moins cher qu’escompté car la Martinique ne manque pas d’esclaves et que surtout, les négriers anglais, très puissants, ont fait chuter les "cours". Il s’agit maintenant de ramener en France le produit de la vente : des quantités importantes de sucre, du café, du cacao, des liqueurs, du coton... Trois bateaux sont nécessaires, "la Bonne-Mère" étant trop petit pour tout contenir. Mais l’Angleterre entre de nouveau en guerre avec la France le 16 mai 1803 et un des trois navires est intercepté sur le chemin du retour. La guerre relance la crise économique : à Nantes, la revente des marchandises est laborieuse, les profits, annoncés à 137% ne seront, au final, que de 5%.
De l’armateur de cette expédition, Mathurin Trottier, l’historien dresse ce portrait paradoxal : "bon fils, mari aimant, père exemplaire, catholique qui va à l’église et fait baptiser ses enfants, franc-maçon d’une Loge aux actions caritatives, généreux envers les plus démunis et probe en affaires, travailleur... On serait alors en droit d’invoquer un envers raciste pour flétrir ce tableau idyllique, mais encore faudrait-il qu’à ses yeux, l’homme noir existât", estime l’historien.
"Il manquera toujours le point de vue des victimes, noires. Il manque aussi celui des négriers, blancs, autre qu’économique, parce que leur correspondance fait état de marchandises, et non de personnes", conclut Eric Saugera.
Alexandra TURCAT (AFP)

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